Epistémologie

Un peu d’histoire

Reconnaître la narcolepsie, cela n’a pas été facile.

C’est le docteur Jean-Baptiste Gélineau qui, le premier (d’abord en 1880, puis en 1881), en fait la description la plus complète en demandant à ses collègues médecins d’en faire une maladie à part entière. D’autres médecins, avant lui, avaient mentionné quelques uns de ces troubles mais de façon parcellaire et sans en faire une maladie… en particulier C. Westphal (1877).

Deux références intéressantes sur Internet pour en savoir plus : celle de P. Passouant sur “la narcolepsie au temps de Gélineau

et le petit livre (1881) de J.B. Gélineau lui-même : (le lien suivant donne accès à son téléchargement)

Que retirer de cette histoire ?

Avant les années 1880, les médecins ne savaient pas comment interpréter les symptômes de la narcolepsie et encore moins ceux de la cataplexie. Cette dernière était confondue avec la catalepsie, comme cela se fait encore souvent.

C’est donc le médecin militaire J.B. Gélineau qui, le premier, avec une certaine prudence et un certain courage, décrit et interprète, avec les connaissances de son temps, la majorité des signes de la narcolepsie dont il propose le nom qui restera. “Nous nous croyons donc autorisé à faire de la narcolepsie une névrose particulière, peu connue jusqu’à présent, et sur laquelle il était bon d’appeler l’attention des observateurs.(p 52)” 

Cependant, tout n’étant pas parfait, il fait un certain nombre “d’erreurs” en confondant, par exemple, certains symptômes de la narcolepsie et de la cataplexie. Le film “Narco” fait aussi cette erreur !

La narcolepsie, pour lui, est “une névrose rare ou du moins peu connue jusqu’à ce jour, caractérisée par un besoin de dormir subit, irrépressible, ordinairement de courte durée, se reproduisant à des intervalles plus ou moins rapprochés et obligeant le sujet à tomber ou s’étendre pour lui obéir. (p 6)”

Cependant, il remarque ; “la narcolepsie, que nous regardons comme une névrose particulière caractérisée par ce double critérium somnolence et chute ou astasie (…) (p 55 & 56) ”  Pour lui, les symptômes liés à la cataplexie sont de l’astasie, c’est à dire l’incapacité de rester debout. Ils ne les différencient pas de la narcolepsie proprement dite.

A la fois, il essaie de justifier sa “découverte” en établissant des diagnostics différentiels avec l’hystérie, l’épilepsie, l’agoraphobie, la peur du vide, le délire émotif et il oublie les différences entre certains symptômes comme le fait que, durant les accès de cataplexie, la personne reste consciente, alors qu’elle n’a pas de souvenir des accès de narcolepsie… C’est logique puisqu’il ne différencie pas les deux entités !

Il essaie aussi de faire des distinctions entre différentes formes de narcolepsie. Il en reconnait deux formes : l’une essentielle et l’autre secondaire (p 22). Mais il parle aussi de “narcolepsiehystérique”(p 29) et puis de narcolepsie deutéropathique(p 37), c’est à dire qui se déclenche suite à une autre maladie, pour finalement dire (p 43);  “la narcolepsie peut être secondaire et se rattacher en particulier aux névroses convulsives”. Dans ces appellations qui correspondent aux données de son époque, le docteur Gélineau montre qu’il a déjà mis le doigt sur un certain nombre de problèmes toujours actuels et qui sont dénommés différemment maintenant. On peut toujours se poser cette question : n’existe-t-il pas plusieurs formes de maladie sous le vocable unique de “narcolepsie cataplexie” ?

Un autre fait est intéressant à remarquer. Certains médecins et chercheurs mettent les accès d’agressivité présents chez certaines personnes narcoleptiques sur le compte de la prise de modafinil, molécule éveillante, mais Gélineau remarque déjà (p 44): ” On doit cependant remarquer chez la plupart un caractère difficile ; tous sont irritables, impatients, sensibles, …” Peut-on raisonnablement penser que ces malades prenaient déjà du modafinil ?

Comme traitement (p 60) entre autres expériences plus ou moins traumatisantes pour ses patients, il propose la caféine, toujours d’actualité, mais il ne parle aucunement de l’intérêt des “siestes”.

Enfin pour terminer par un peu d’humour notons que pour lui, “le coït quotidien” chez un patient ou “l’abus des plaisirs de Vénus” chez un autre peut avoir augmenter la fréquence du besoin de dormir ou même être “la cause probable de la narcolepsie…” A cette époque, la médecine est encore fortement influencée par les notions de moralité. Cependant, s’il se pose la question, il ne se prononce pas sur l’influence du sexe (p 42) dans l’apparition de la narcolepsie. Freud vient juste d’être nommé médecin et n’a pas encore, heureusement, fait parler de lui !

Les travaux fait par ce médecin ont contribué, comme il était d’usage à son époque, à ce que la maladie soit appelée “syndrome de Gélineau.

KLS : syndrome de Kleine-Levin

A partir de 1786 plusieurs médecins s’intéressent à décrire cette « maladie nerveuse, avec complication d’un sommeil»  (Chauvot de Beauchêne). Ce sont deux médecins Willi Kleine et Max Levin qui vont lui donner son nom : le syndrome de Kleine-Levin.

Les hypersomnies et l’hypersomnie idiopathique

Bien que plus fréquentes que le KLS, mais, sans doute moins spectaculaires dans leurs manifestations, les hypersomnies n’ont pas eu l’honneur de se voir accoler un nom de médecin qui les auraient étudiées plus spécifiquement. Elles se diagnostiquent “par défaut”.

Classifications et codes des diagnostics

Dur ! dur ! les mots !

Il faut une certaine habitude dans les problèmes de sommeil pour ne pas s’égarer dans la jungle des mots. Par exemple, la narcolepsie entre dans la liste des hypersomnies rares , mais il n’est pas questions d’elle lorsque l’on parle de l’Hypersomnie (tout court) et de l’Hypersomnie idiopathique.  Des difficultés de compréhension et de regroupements des symptômes existent, ainsi il est d’usage de parler maintenant de “narcolepsie cataplexie”, de façon générale, alors que l’on sait, par exemple, qu’il n’y a pas de cataplexie pour une personne sur quatre environ. Pour s’y retrouver, il faut faire un effort de clarification des symptômes et des mots qui les décrivent.

Différentes approches existent pour ces classifications.

Un peu d’Histoire :

Celle qui fait référence internationalement est celle de l’OMS (CIM). Son objectif est principalement statistique et épidémiologique : Quelque soit les pays, le nom donné à une maladie doit bien correspondre à la même maladie. Cependant, en particulier dans les puissantes associations médicales américaines, chacune a voulu présenter sa propre classification pour les pathologies qu’elles traitaient.

ICD-9 et l’ICD-10 (International Classification of Diseases) sont les critères, fixés par l’Office Mondiale de la Santé (OMS), de codifications internationales des maladies. En France, elle s’appelle la Classification Internationale des Maladies (CIM-10)Le numéro est celui de la révision. C’est une liste codant les maladies, signes, symptômes, circonstances sociales et causes externes de maladies ou de blessures. Elle comprend 14 400 codes principaux pour classifier les diagnostics médicaux. En ce qui concerne les troubles du sommeil, elle a l’inconvénient de ne pas tous les regrouper selon un même code générique.

La dernière Classification Internationale des Troubles du Sommeil (ICSD2) proposée par l’Académie Américaine de la Médecine du Sommeil est parue en 2005. Elle succède à celles de 1990 et de 1997 (ICSD1). Les deux classifications varient dans leur conception des troubles et dans leur structure de classification. Il s’agit encore de

décrire les troubles du sommeil et de la veille à partir de données scientifiques ou, à défaut d’évidence clinique, de présenter ces troubles selon une structure rationnelle et scientifiquement valide et de rendre ces troubles aussi compatibles que possible avec l’ICD-9 et l’ICD-10” 

(Vecchierini, Dans Sommeil et Vigilance, SFRMS, 15 novembre 2006).

Pour ce qui nous intéresse, le médecin qui reçoit une personne dont la plainte est celle de troubles du sommeil doit pouvoir se retrouver dans cette “jungle” de codes, censée permettre une bonne reconnaissance nationale et internationale des troubles, mais qui ne correspondent pas forcément à la “clinique”, c’est à dire ce que la personne lui raconte de ses problèmes personnels.

Ancienne Classification

L’ancienne Classification des pathologies du sommeil la séparait en 2 groupes.

Dans le groupe “troubles intrinsèques”, la maladie était due au sommeil en lui-même.

Dans le groupe “troubles extrinsèques”, la maladie était secondaire à une pathologie extérieure.

Cette distinction ne correspondait pas à la pratique clinique des médecins, elle serait abandonnée en principe …

Voici donc les principaux codes qui intéressent les hypersomnies rares et le syndrome de Kleine-Levin à l’exclusion des autres troubles du sommeil.

Nom de la maladie N° de fiche
Hypersomnie par carence de sommeilF51.11
Autres hypersomnies extrinsèquesF51.19
Hypersomnie récurrente
(Syndrome de Kleine-Levin, Hypersomnie cataméniale)
G47.11
Hypersomnie idiopathique à temps de sommeil allongé G47.12
Hypersomnie idiopathique à temps de sommeil normalG47.13
Autres hypersomnies intrinsèquesG47.19
Autres hypersomnies dues à une substanceF10-19 /T36-50 T
Narcolepsie avec cataplexieG47.41
Narcolepsie sans cataplexieG47.41
Autres troubles du sommeilG47.8
Autres formes de narcolepsieG47.49

Et aujourd’hui ?

On garde tout et par la mise en place du premier Plan National des Maladies Rares (2011-2014) en 2013, un organisme , Orphanet, créé en 1997 par l’INSERM et de la Direction Générale de la Santé, est chargé de proposer au public sur Internet  en accès libre divers services :

  • inventaire et classification des maladies rares
  • inventaire des médicaments orphelins
  • une encyclopédie
  • informations sur les Centres de Référence et les Associations de patients
  • création de dossiers de synthèse- les cahiers d’Orphanet- téléchargeables sur le site ORPHANET
Nom de la maladieN° de fiche
Narcolepsie avec cataplexie – Type 1orpha2073
Narcolepsie sans cataplexie – Type 2orpha83465
Hypersomnie avec augmentation du temps de sommeilorpha228315
Hypersomnie sans augmentation du temps de sommeilorpha228318
Hypersomnie idiopathiqueorpha33208
Syndrome de Kleine Levinorpha33543

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